Il y a quelque chose d’indécent dans l’entêtement du gouvernement français à faire perdurer un régime de retraite injuste et condamné : le régime par répartition.
La raison officielle invoquée, c’est de maintenir ce système à tout prix parce qu’il est menacé. Le nombre de personnes qui travaillent pour payer les pensions des retraités diminue de plus en plus au point de ne plus pouvoir être viable d’ici quelques années. Le gouvernement prétend sauver ce système parce que le nombre de cotisants ne diminuera plus après 2030 et qu’il faut quand même repousser l’âge de la retraite à 64 ans pour finaliser le sauvetage de la répartition.
Bien évidemment, le régime est condamné. Rien n’indique qu’il y aura, un jour, assez de cotisants au travail ou moins de retraités pour maintenir le système. Rien n’indique non plus qu’en contraignant les actifs à travailler jusqu’à plus d’âge sauverait le système. Beaucoup de facteurs sont inconnus. Les crises économiques, le chômage pourraient plomber un équilibre précaire. Elles ne disparaitront pas comme le gouvernement semble le croire, parce qu’elles constituent des aléas nécessaires pour éliminer les bulles créées par nos comportements, tout comme les guerres ou les orages écologiques. Le gouvernement français évoque « les autres pays d’Europe », qui reculent périodiquement l’âge du départ à la retraite, comme l’Allemagne, qui vise 67 ans !
Cette croyance que la répartition peut survivre affirme que l’on vit de plus en plus longtemps « et en bonne santé », ce qui justifierait de travailler plus longtemps. La réalité est plus complexe : plus on vieillit, moins on est capable de bien réaliser un grand nombre de tâches. Curieusement, pour ces théoriciens politiques, l’amélioration des conditions de travail, la robotisation, au lieu d’autoriser une retraite à 60 ans, permettraient aux personnes plus âgées de travailler sans effort et donc plus longtemps. Mais pourquoi ? Si certaines personnes restent en excellente forme à 60 ou 70 ans, d’autres, celles qui ont commencé à travailler très tôt, celles qui ont connu la maladie, celles qui ont travaillé fort, ont une espérance de vie inférieure de six ans à celle des plus favorisés. On parle bien ici de classes sociales et d’inégalités entre les citoyens et les citoyennes, qu’il s’agisse de genre, de classes de travailleurs et même d’origines ethniques, éloignées ou pas.. Un régime de retraite juste devrait au contraire mettre en place une solidarité qui reconnaîtrait à tous citoyens un droit de s’arrêter quand il est encore temps et un droit de remettre à zéro les inégalités dont il et elles ont souffert au cours de leur vie. Pour eux, il reste en effet à peine 10 ans de vraie retraite et la plupart du temps, en mauvaise santé. Quand on meurt plus tôt, en général, on est aussi malade plus tôt…
Comme le montrait un ministre, sa réforme ne fera que constater et pérenniser à la fin de la vie les inégalités de la vie au travail !
Loin d’être un simple problème comptable géré par des actuaires libéraux improvisés, la retraite est un déterminant socio-économique. Ce n’est pas un simple problème de déficit. C’est un choix de société et non pas un programme de parti politique. Une fois exprimé démocratiquement par les citoyens, dans la rue, par les syndicats, voire par une consultation bien informée (pas un simple référendum sans débat) le pouvoir doit examiner les possibilités de financer le choix de la population et abandonner le sien.
Il existe pourtant beaucoup de moyens de réformer le régime de retraite par répartition, d’en faire un hybride. Les arguments utilisés pour dire que le système par répartition est viable montrent au contraire au contraire qu’il peut et doit être changé. Dans sa communication, le gouvernement prétend éviter l’augmentation des impôts en reculant l’âge de la retraite. En fait, ce n’est qu’une seule et même chose : faire travailler plus longtemps, c’est aussi un impôt en nature. À condition évidemment que ces années de travail puissent être créées dans une économie qui met bien des travailleurs au chômage après 55 ans. Mettre à l’amende les entreprises qui ne conserveront pas assez de vieux travailleurs ne créera pas de l’emploi.
Dans plusieurs pays, les salaires des générations montantes connaissent des augmentations importantes qui compensent, en partie, le déficit de cotisants. L’égalité entre les femmes et les hommes (et pas seulement l’égalité salariale) aurait le même effet. Les gains en productivité, la robotisation, l’informatique pourraient à la fois créer un système de retraite plus équitable et poursuivre le mouvement de réduction du temps de travail hebdomadaire que connaissent les meilleures économies. De fait, la durée des vacances annuelles, la durée de la semaine de travail connaissent de grandes variations d’un pays à l’autre. Là encore, il s’agit de projets sociaux, chaque société vivant et finançant celui qu’elle a adopté…
Tout cela ne se produit évidemment que lorsque cette évolution sociale se produit effectivement, à l’encontre de propositions libérales qui visent à sauver la consommation plus que le régime par répartition. Il faut que l’ascenseur social fonctionne, ce qui n’est pas le cas en France. La baisse du chômage sur papier, la création importante de nouvelles entreprises, chère au gouvernement, ne reflètent pas toujours une économie saine, mais une paupérisation de l’économie. Travail à temps partiel, microentreprises génèrent des revenus inférieurs, des cotisations inférieures et des retraites inférieures. Mille euros par mois, comme entrepreneur, chômeur ou retraité, cela reste inacceptable. Quand, en plus, l’État revendique une captation de ces faibles revenus pendant quelques années de plus pour préserver la retraite par répartition et, pourquoi pas comme il l’annonce, éponger d’autres déficits, c’est une bombe socio-économique qu’il peaufine, pas une réforme des retraites.
L’évolution la plus probable et la plus juste du système par répartition consisterait justement à l’abandonner, en établissant un régime mixte associé à d’autres mesures plus ou moins directement reliées à la retraite. En passant, il faut rappeler que, partout dans le monde, les disparités dans les régimes de retraite ont été d’abord un moyen de négocier les conventions salariales : dans la fonction publique, dans plusieurs métiers, les patrons ont trop souvent troqué un salaire juste contre le mirage du financement patronal d’une bonne retraite. Aujourd’hui, ils voudraient bien reprendre leur cadeau au prétexte de rétablir l’égalité…
Au Québec, outre le régime de pension du Canada, il existe un régime géré par le gouvernement en plus de régimes privés. Les prestations générées par ces régimes sont meilleures que les Françaises. Le système est soutenable sur de longues périodes, complété par une grande variété de régimes de pension privés financés par les employeurs et les employés. Il existe donc des différences importantes parmi les retraités. Certains régimes de pension sont extrêmement riches (Enseignants ou policiers) grâce à la fois à des cotisations importantes et à une gestion performante. Des corps policiers reçoivent une pension après seulement 25 années de service… Dans l’ensemble, il est vrai que le système est inégalitaire puisque tous les citoyens n’ont pas accès à des régimes privés, néanmoins, ces régimes ne nuisent pas aux autres retraités dans la mesure où ils sont entièrement autofinancés et ne connaissent pas de déficits comblés par l’État, ce qui n’est pas toujours le cas dans la fonction publique par exemple. Enfin, pour réduire d’éventuelles inégalités dans les revenus à la retraite, le moyen choisi par Fidel Castro existe encore : l’impôt, largement utilisé par les États, mais pas toujours pour réduire les inégalités.
Toujours au Canada, il existe aussi un système d’épargne-retraite (RÉER). Le montant versé dans un compte spécial est déduit de l’assiette de l’impôt de l’année en cours (une économie d’impôt variable selon le salaire). Le montant déposé au cours des années auquel s’ajoutent les revenus d’intérêt ou de gains en capital sera imposé au taux en cours au moment du retrait, en principe plus élevé si les revenus globaux augmentent avec l’âge. Cela fait dire que ce régime d’impôt différé n’est pas avantageux pour le contribuable qui pourrait payer plus d’impôt qu’il n’en a économisé, mais en réalité c’est une épargne qui peut devenir considérable à l’âge de la retraite, soit plusieurs dizaines – ou centaines – de milliers de dollars, en plus de constituer un coussin financier en cas de problème puisqu’il est possible de retirer des fonds en tout temps à condition d’ajouter le retrait au revenu de l’année.
Plus révolutionnaire : deux syndicats québécois ont créé leur propre régime d’épargne-retraite (Fonds de Solidarité FTQ et Fondaction CSN). Sauf cas spéciaux, il n’est pas possible d’effectuer des retraits avant la retraite. Les montants déposés donnent droit à une économie d’impôt encore plus grande qu’avec le RÉER, et les fonds reçus des cotisants sont utilisés pour soutenir le développement économique du Québec. Ces fonds peuvent, par exemple, détenir une part importante du capital d’une entreprise afin d’éviter qu’elle soit rachetée par une société étrangère, ou encore, accorder des prêts. Ils sont en quelque sorte les pendants ouvriers des fameux pensions funds nord-américains, si décriés en Europe et ils viennent pallier l’immobilité des États en matière d’égalité et d’orientations économiques.
Les rendements de ces fonds « syndicaux » sont excellents sur le long terme et sont accessibles par un plus grand nombre de travailleurs. Ils constituent un pas très important vers la participation des employés au capital des entreprises et pas seulement dans le capital de leur employeur et ont un poids non négligeable dans les choix économiques et industriels du pays. Il y a là une expérience d’investissement, d’intégration dans son système économique qui est crucial pour le développement d’une économie moderne et pour le rééquilibrage dans les systèmes de retraite.
Enfin, il faut dire que la vie en société n’est pas (seulement) une question de chiffres. Ce n’est pas en basant les revenus des citoyens à la retraite (et même bien avant) sur leur participation à l’élaboration de la société que l’on forge une société cohérente et heureuse. Toue le monde ne vit pas la même vie. Certains, travaillent plus, d’autres connaissent des passages à vide et il est normal que ceux qui « réussissent » payent pour ceux qui « ne sont rien », les « sans dents ». C’est le principe même de solidarité, de l’assurance, de l’assurance sociale. Quand on veut faire société, il faut d’abord définir ce que l’on veut, puis voir comment on peut le financer, pas le contraire. La France, à cet égard n’a pas à s’aligner sur les autres pays d’Europe qui, par ailleurs, en matière de travail et d’organisation de la vie sociale ont élaboré des systèmes différents, parfois au prix d’une précarité systémique.
En matière de retraite, s’il est vrai que travailler au SMIC toute sa vie ne donne pas une meilleure retraite que lorsque l’on a à peine travaillé, il faut augmenter la retraite de la personne qui a travaillé et non pas diminuer celle de la personne qui a travaillé moins. Les humains sont des êtres grégaires et sociaux. C’est la diversité des individualités qui cimente l’ensemble : artistes, lanceurs d’alerte, entrepreneurs, délinquants, bénévoles généreux sont des révélateurs de nos sociétés, des êtres réels que les rouages démocratiques se doivent de régler, d’harmoniser, de reconnaître. Les citoyens ont droit à des moments de paresse, à un métier moins dur, à des pauses, volontaires ou pas, àde nouvelles études, à une formation continue, ils ont le droit d’être faibles et je crois que les excès sont rares lorsque la société que l’on crée est intéressante, libre, consensuelle. L’intérêt est le principal moteur, comme la possibilité de réaliser sa vie comme on le veut. Ne pas pénaliser, ne pas exclure sont les clés du progrès. Généralement, tous les citoyens veulent travailler et seul un très petit nombre cherche à se soustraire à l’effort collectif ou à en profiter. Souvent même, avec raison, avec des motifs valables comme celui de ne pas être embrigadé dans un groupe confus, résigné. La dissidence a une valeur inestimable et il n’est pas vrai qu’elle entrainera le chaos si on ne l’éradique pas, bien au contraire.