Plusieurs étudiants en droit se rappelleront le cas d’un résident d’une ville côtière de l’est des États-Unis qui a fait jurisprudence. Le maire de la municipalité avait interdit une race de chien, visant précisément l’animal d’un citoyen qu’il n’aimait pas. Sans autre fondement que cette haine envers un concitoyen, la loi ne pouvait s’appliquer.
Le cas de M.Péladeau laisse entrevoir un scénario du même type. Nous connaissons tous les arguments, en particulier sur la nature des investissements du chef péquiste, mais il est clair que la personnalité et les idées de M.Péladeau commandent, au moins en partie, le zèle de ses opposants à tailler une loi sur mesure.
Nous pouvons craindre, en effet, que M.Péladeau « oriente » ses politiques en fonction des impératifs de son empire médiatique. D’aucuns ont, souvent avec raison, craint les relations du pouvoir avec un autre empire médiatique (La Presse), mais aussi avec d’autres empires, comme celui de M.Paul Martin ou de puissants lobbies portés sur le chantage à l’emploi.
Ce genre de problème se réglait jusqu’à maintenant par la création de véhicules juridiques plus ou moins capables de séparer les activités financières ou commerciales des activités politiques. Mais ce qui est contesté aujourd’hui par les opposants à M.Péladeau, c’est manifestement l’importance de ses possessions et le pouvoir qu’elles impliquent. Fait intéressant, la concentration des médias a été souhaitée par les gouvernements précédents. Elle a aussi permis d’instaurer des contre-pouvoirs fort et solidifié l’industrie face à des voisins coriaces.
Ce qui nous amène à nous demander s’il serait raisonnable d’exiger qu’une personne très riche vende toutes ses actions pour acheter… on ne sait quoi. Quand on est François Legault, il est possible de s’asseoir sur des obligations du Québec, mais lorsqu’on possède des centaines de millions ou un milliard, convertir des titres de conglomérat comprenant à la fois des médias et des entreprises de télécommunication pose le problème évoqué par Warren Buffet : on devient soi-même le marché. Si PKP vendait toutes ses actions aurait-il alors le droit d’acheter des entreprises de travaux publics ? Des minières ? Des pétrolières ? Des super-cliniques ?
Le corollaire est tout aussi impressionant : comment réagir si le fiduciaire décidait de remplacer systématiquement au sein de « l’empire » des journalistes indépendantistes par des fédéralistes ou encore s’il faisait avorter des enquêtes de journalistes ? L’affaire Tapie en France a montré les limites de l’administration « administrative » de grandes sociétés.
C’est évidemment aux citoyens de décider s’ils veulent des gouvernements dirigés par des citoyens riches et très riches. Dans les Constitutions de la plupart des pays, il est impossible d’édicter des lois qui éloigneraient ces citoyens-là de la politique. Dans le cas de M.Péladeau, beaucoup de citoyens se sont d’ailleurs prononcés en sa faveur, sachant qu’il allait devenir chef de l’opposition et probablement Premier ministre promoteur de l’indépendance du Québec. S’il était élu chef d’un gouvernement, le vote des citoyens avaliserait la situation de M.Péladeau au moment du vote. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas aussi définir les conditions d’exercice du pouvoir, mais il faut le faire d’une manière plus sereine, efficace, avec des institutions qui sont capables de les administrer. Le Conseil de Presse serait approprié dans ce cas et dans d’autres (presse canadienne lors du référendum de 1995). Mais il est infiniment plus important de créer de nouvelles institutions pour combattre la corruption institutionnalisée au cours des dernières décennies, un problème qui va bien au-delà de celui posé par la candidature de M.Péladeau et que, semble-t-il, la Commission Charbonneau a enterré.