Ce titre d’un livre de Jacques Hébert résume à peu près ce que l’on ressent après la parution du rapport Charbonneau. La juge, que l’on croyait acquise au parti qui l’a nommée, s’est révélée au contraire la plus fidèle à la lettre du mandat qui lui avait été confié. Pour le reste, c’est une bien triste journée.
Couillard, quelque peu perroquet, a répété qu’il fallait tenir compte que la corruption effleurée par la Commission Charbonneau correspondait à la norme de l’époque. Autrefois on battait les femmes, giflait les enfants, subornait les ministres et cela devait donc être « normal ».
Malheureusement, on faisait cela et on le fait encore. Il est difficile de croire que corrompre un politique, organiser des soupers-bénéfice avec des membres de la mafia, voguer sur ses bateaux ait jamais constitué une norme, tout au plus…une habitude. Et puis, les temps anciens de l’éthique pourrie à laquelle M. Couillard faisait allusion, cet « autrefois », c’est la période 2003-2012, Cro-Magnon quoi !
En matière de transparence, particulièrement de transparence politique, les gens de pouvoir invoquent la notion juridique du « hors de tout doute raisonnable », celle-là même qui a sans doute guidé le petit commissaire Renaud Lachance dans sa fuite. Pourtant, il n’était pas question de procès criminel, mais de politique et les principes du droit criminel ne s’appliquent pas, surtout pas la présomption d’innocence. Si vous engagez quelqu’un pour gérer votre argent et vos affaires, vous ne devriez pas vous contenter d’une présomption d’honnêteté !
Bien au contraire, qu’un seul doute plane sur la conduite d’un dirigeant devrait suffire à l’exclure comme cela se pratique parfois dans le club : l’ex-député Daniel Breton a démissionné à l’occasion d’une affaire qui ne remettait pas en cause sa capacité. Pourtant le règne des Libéraux n’aura été (cela n’a guère changé) qu’une suite de manœuvres antidémocratiques, anti-femmes, de comportements pour le moins louches, illégaux ou immoraux (les lois sur les manifestations, le financement), d’aveuglements conscients associés à des systèmes de défense pyramidaux qui rendent les dirigeants à l’abri de toute preuve de contact avec leurs hommes de main.
Les lanceurs d’alerte subissent encore les conséquences de leurs dénonciations. L’un est assigné à résidence, l’autre, d’abord exilée en Alberta (!), est persona non grata dans son domaine d’activité. La juge Charbonneau les a tout de même remerciés, eux qui ont tant contribué à son enquête. Jean Charest est un guide dans une grande firme d’avocats et d’autres ont été saupoudrés sur des institutions prestigieuses[1]. L’ex-maire Vaillancourt, toujours en liberté, aura peut-être un procès en 2019, un délai de complaisance dont M.Zambito n’a pu évidemment bénéficier. Vaillancourt aura alors 79 ans, dont 5 de vacances en Floride. Cette saga aura non seulement discrédité la politique mais aura aussi rendu la justice émétique.
L’argument suprême, abordé par les juristes, quelques médias et la plupart des politiques est bien qu’une transparence totale, l’étalage des liens entre politique et mafia et de la corruption dans les contrats avec le gouvernement….nuirait à la démocratie ! Mieux vaut alors ne rien savoir et ne rien dire.
Il faut en effet être soi-même aveugle, et sourd, pour ne pas avoir vu et entendu, lors des audiences Charbonneau tout ce qu’il fallait pour comprendre ce que nous, contribuables et électeurs, avons fait de notre presque pays et envoyer les Libéraux et tous les « nominés » de la Commission dans l’enfer du quotidien de ceux qui travaillent honnêtement. Dommage, parce que, petit pays, nous avions l’immense privilège de changer du même coup notre démocratie à la manière des Scandinaves… Il n’y aura peut-être jamais plus de « prochaine fois ».
[1] http://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201409/10/01-4798999-quebec-rebrasse-les-cartes-dans-les-delegations.php