À l’émission de l’excellent Gérald Filion, deux économistes ont débattu (mais en surface seulement) de l’intention du gouvernement de diminuer les impôts et d’augmenter la TVA. Selon l’idée générale la TVA toucherait tous les citoyens selon la consommation alors que l’impôt, s’il est un bon instrument de redistribution, pénaliserait les entreprises qui emploient des travailleurs et exportent des marchandises.
Le Danemark, toujours bon exemple de la méthode TVA, est cité en exemple. Mais on oublie de dire que le même Danemark, impose aussi une taxe de 180 % sur l’achat des automobiles. Les taxes sur la consommation y sont donc modulées en fonction d’objectifs sociaux. En France, ici même au Québec, on détaxe certains articles (nourriture) et l’on peut en surtaxer d’autres, ou imposer des « vignettes », des frais d’enregistrement et autres droits aux fameux « utilisateurs-payeurs », mais nous sommes au Canada et l’on voit mal comment nous pourrions surtaxer les autos ou d’autres biens, à moins de resserrer encore plus les quasi-frontières qui existent encore entre les provinces canadiennes.
Les Scandinaves sont probablement beaucoup plus conscients de leur rôle dans la société dès le plus jeune âge. Le projet social y est très élaboré et bien partagé par les citoyens. Ils ne trichent pas, ont, par tradition, confié un rôle très important à l’État dans l’exécution d’une mission sociale claire, ce qui rend ces économies stables et plus faciles à gérer. Les impôts et les taxes y sont très élevés, mais les citoyens bénéficient de conditions de vie supérieures aux nôtres. La TVA y pénalise beaucoup moins les plus pauvres pour les raisons déjà données (il existe d’autres taxes sur des biens de luxe par exemple) et assure une redistribution juste. Nous doutons que la TVA puisse jouer le même rôle au Québec, à moins de mettre sur pied un système global d’impôt et taxes complètement repensé…mais le fait d’être lié à un système fiscal fédéral ne permet pas de réaliser un tel projet.
On pourrait aussi moduler les impôts. Les entreprises ne paient pas en général de TVA sur les produits exportés, et il est toujours possible de créer des déductions d’impôt pour toutes sortes de projets : pour l’embauche d’employés plus âgés, ou plus jeunes, d’apprentis, pour la recherche, voire de donner des contrats à des industries que l’on veut protéger, l’exemple souvent cité aux États-Unis étant Boeing, maintenant propriétaire de manufacturiers d’équipements militaires à qui l’État peut acheter de l’armement, ce qui constitue clairement une subvention… indirecte mais tangible.
Il n’est cependant pas sûr que des baisses d’impôts pour les entreprises se reflètent dans les prix à la consommation. Ils se retrouveraient plutôt dans les poches des actionnaires et des dirigeants (le dirigeant de Volkswagen a quitté son poste avec Das prime de quelques dizaines de millions d’euros).
L’impôt est probablement plus difficile à récolter que la TVA, du moins dans les pays nordiques, peut-être moins en Grèce et dans les pays du sud. En Italie, le gouvernement a fait imprimer des coupons au dos des factures afin que les clients les exigent pour pouvoir bénéficier de rabais, ce qui force les commerçants à déclarer leurs ventes. On se rappellera aussi des logiciels truqués des restaurants du Québec, il y a quelques années.
Il faut plus de personnel pour percevoir l’impôt. Une armée de fonctionnaires est nécessaire pour faire le pendant à l’armée de comptables qui conseillent les entreprises pour contourner (légalement) les lois fiscales ou parfois leur suggérer des chemins moins propres. Il y a plusieurs manières de produire des comptes, de changer de catégorie fiscale pour bénéficier de tel ou tel avantage, de telle déduction. La TVA est plus simple : l’entreprise paie en général chaque mois la taxe correspondant aux produits vendus et l’État n’attend pas un an avant de recevoir les fonds.
La réduction des montants payés par les entreprises favorise la consommation et donc les profits. Les recettes de l’État sont en revanche plus faibles si la TVA ne compense pas les diminutions d’impôts et la couverture sociale sera alors réduite, ce qui peut constituer aussi un coût futur pour l’État : justice, compétence des citoyens, qualification de la main d’œuvre, etc. Il faut aussi trouver un moyen de faire payer une juste part des dépenses de la société aux bénéficiaires des profits des entreprises (les actionnaires) et cette tâche revient à l’impôt progressif qui, toujours au Danemark, est très élevé. TVA et impôt ne sont donc pas antinomiques.
Dans un Québec à l’intérieur du Canada, il est difficile d’imaginer un moteur fiscal à deux pistons qui fonctionneraient l’un contre l’autre. Les manœuvres du gouvernement Couillard pour réduire les impôts et augmenter les taxes risquent de créer un réel déséquilibre dans la redistribution de la richesse, dans l’équation sociale et d’inventer des problèmes dont les conséquences ne seront visibles que dans plusieurs années (bien qu’il soit aisé d’en entrevoir déjà quelques-unes).
Ce qui est encore plus tragique dans l’exercice, c’est qu’il importe peu que la nouvelle politique soit de gauche ou de droite puisque le gouvernement fédéral ne suivra pas ce que le Québec fera, c’est le Québec qui devra toujours suivre les politiques fédérales. Le Canada n’est pas divisé entre droite et gauche, il est divisé géographiquement, entre l’est et l’ouest. Or les conservateurs canadiens viennent de l’ouest et n’ont que faire d’un conservateur québécois.
La réforme fiscale et budgétaire de Couillard semble donc un exercice bien futile, à moins que le gouvernement du Québec veuille réellement revenir sur les acquis sociaux des dernières décennies. Si tel était le cas, il aurait entre les mains l’outil idéal pour noyer le poisson.