Pendant que le Québec lève la tête pour regarder le doigt dirigé vers la clôture alors qu’en réalité il montre le chemin de la liberté, l’une des pires aventures industrielles canadiennes vient de prendre fin. Cette catastrophe devrait à elle seule justifier que le Québec tente de divorcer une fois de plus de ses 9 conjoints.
L’aventure de la C Series ne date pas d’hier. Son histoire débute en 2004, comme projet, pour se concrétiser avec une décision définitive en 2008, après des hésitations qui ont sans doute absorbé beaucoup d’énergie. Peut-être pourrions-nous voir dans cette date le début du cauchemar.
Dans la plupart des pays, quand une place peut être prise au sein de l’industrie mondiale, dans un domaine de pointe, tout le monde se polarise. Les gouvernements, tous les ouvriers du projet, du mécanicien à l’ingénieur, le bureau de marketing, les publicitaires, les banques travaillent à sa réalisation. Au Canada, le développement de la CSeries n’a été que l’œuvre des employés de Bombardier, d’acharnés et de visionnaires, excluant de multiples directions de l’entreprise qui, même si elles ont installé le projet dans l’entreprise, n’ont pas fait dès le début les efforts nécessaires pour réussir.
Passons sur la saga de la haute direction. On a essayé, chez Bombardier de trouver des dirigeants efficaces tout en gardant la main haute sur l’entreprise et tout en avalisant les décisions les plus invraisemblables de petits chefs de passage. Pour mémoire, je ne citerai que la remarque en français d’un actionnaire anglophone lors d’une assemblée générale : « pourquoi avez-vous engagé un dirigeant qui a mis à terre une grande compagnie d’alimentation ? » Dans la même foulée, en état de panique, Bombardier a largué sa vache à lait, la division récréative, pour éponger les erreurs de planification. Déjà, la CSeries était à l’agonie parce que rien n’avait été prévu pour la financer. Chaque nouvelle direction, toujours éphémère, enfonçait l’entreprise dans la confusion.
Du côté des gouvernements, c’était pire, certainement pas mieux. La division militaire de Bombardier, vendue, ne pourrait certainement pas permettre de financer Bombardier par la bande comme le font tous les pays. On se rappellera les cafetières à 2 millions d’un avionneur américain qui produisait des chasseurs. Ailleurs, c’est comme cela que l’on aide ses entreprises. Pas ici.
On peut faire encore plus. La France produit et vend du militaire et particulièrement des avions, militaires et civils. Quand un président voyage, il devient représentant de commerce. Ce n’est pas toujours joli, mais ça fonctionne, malgré la concurrence.
Quand le monde entier a compris que rien ne serait fait au Canada pour sauver la nouvelle série d’avions de Bombardier, les cœurs se sont mis à battre. C’était à celui qui allait retenir sa respiration le plus longtemps pour faire baisser les prix. La série avait une valeur, ce sont des avions extraordinaires, un projet mené de mains de maître qui aurait été acheté tôt ou tard. Airbus a bien travaillé. Warren Buffet fait une différence entre la valeur et le prix, pas nous. Tout ce qui nous restera, c’est la crainte de nous lancer dans des projets merveilleux – pas seulement politiques, mais aussi industriels – et peut-être, un droit moral que Bombardier pourrait faire valoir pour que l’on conserve le nom de l’avion et que l’on sache que ce n’est pas Airbus qui a produit la machine.