Télétravail et démocratie.

Depuis des années, le télétravail est vu comme un pas vers la modernité, vers l’économie du transport, vers l’économie du temps. Aujourd’hui, plusieurs se demandent pourquoi le télétravail n’a pas été adopté plus tôt dans le monde du travail.

Il est vrai que le développement d’internet et du très fort développement de la bande passante, c’est-à-dire la capacité de transmettre une très grande quantité d’informations, a changé l’accès à toutes sortes d’activités comme le cinéma, le jeu, la distribution (Amazon), qui appartiennent au monde de la consommation.

Le monde du travail, avec le B 2 B (business to business) et la robotisation a évolué plus discrètement. Ce n’est que dans quelques entreprises, des GAFAM parmi d’autres et dans des TPE spécialisées que la manière de travailler a changé. Pas toujours dans le bon sens et il y a eu des néo-patrons qui étaient de véritables dictateurs, d’autres qui ont été inscrits sur des listes metoo, mais la tendance de fond est tout autre.

Nous avons constaté dans un nombre impressionnant de pays une demande de participation à la décision politique. Depuis le printemps arabe, en passant par les Gilets jaunes ou le printemps érable au Québec, la définition de la démocratie s’est élargie, même si les institutions propres à mettre en œuvre cette exigence citoyenne n’ont pas encore été imaginées. Dans le même temps, dans les mêmes contrées, on assiste à des « barouds d’honneur » de dirigeants qui se sont appropriés les processus de décision en limitant le pouvoir législatif des Assemblées de représentants, députés et sénateurs.

Pourtant l’entreprise a, depuis longtemps, expérimenté avec succès plusieurs formes de démocratie industrielle, des plus douces aux plus avancées. Régitex, une entreprise québécoise créée par Lisa Fecteau, est aujourd’hui totalement dirigée par ses employés. La connaissance, la compétence n’appartiennent pas à une seule personne, elles sont partagées au sein de comités. La propriétaire s’assure seulement que les décisions des comités ne nuisent pas à l’entreprise. Thomas Piketty va un peu plus loin en envisageant que les employés deviennent l’actionnaire majoritaire des entreprises.

Ce modèle reprend la plupart des procédés mis en place par des entreprises qui ont remis, à diverses échelles, le pouvoir à l’ensemble de leurs employés, patrons inclus [1]. Ce qui est flagrant dans ces modèles, c’est la disparition des cadres intermédiaires, la disparition du pouvoir hiérarchique traditionnel. C’est aussi ce que l’on retrouve aujourd’hui dans le télétravail imposé par la pandémie de coronavirus.

La raison en est bien simple : en prenant à son compte l’entière responsabilité de son travail, de sa part dans le fonctionnement de l’entreprise, une grande partie de l’éventuelle nécessité de la contrainte, de l’autorité a disparu. L’employé qui travaille à la maison ne travaillerait pas du tout s’il n’avait pas intégré sa propre légitimité de travailleur au sein de la communauté de son entreprise.

Or, cette idée va à l’encontre de ce que bien des directeurs, bien des leaders pensent.

L’une des causes du retard pris par la plupart des pays durant la pandémie du coronavirus, c’est bien ce manque de confiance envers les citoyens, une crainte que nous ne pourrons pas accepter que nos droits et notre comportement soient limités comme en Chine. Pourtant, la Corée, libre, a fait aussi bien, puis les autres. Il s’agissait simplement que les citoyens soient impliqués, qu’ils soient bien conscients du danger et qu’ils intègrent ces mesures dans leur propre vie. Malheureusement, les citoyens n’ont pas partout été impliqués dès le début, ils ont été contraints à des mesures parfois contradictoires, teintées d’opportunisme politique et, de surcroit, édictées par des dirigeants parfois distants du milieu scientifique. Dans d’autres pays libres, pas seulement ceux dirigés par des « dictateurs », le confinement a été largement respecté par les citoyens dès qu’ils ont eu accès à l’information, avec des résultats probants.

On ne se serait pas attendu à ce que le changement des institutions démocratiques vienne de l’entreprise. Il y a bien sûr d’autres sources, les célèbres utopies dont certaines subsistent encore aujourd’hui, telle Christiana à Copenhague, nombre de coopératives dans tous les domaines, taxi, grande distribution , grands magasins, alimentation, comme John Lewis Partnership en Angleterre qui a édicté sa propre Constitution d’entreprise. Comme dans beaucoup de sociétés de ce genre, le progrès social fait aussi partie des buts. Des systèmes de protection des employés sont instaurés, parfois des années avant qu’un système identique soit adopté par les gouvernements (sécurité sociale, enseignement, assurances)[2] .

Il faut noter que tout cela s’est fait avec une éducation économique, sociale et politique plutôt modérée. Nous ne sommes pas instruits de ces possibilités et même dans les universités peu d’enseignements nous orientent vers des formes nouvelles de sociétés. Imaginons seulement ce que pourrait devenir le monde libéré des anciens paradigmes. Les inégalités, les ségrégations et la violence sont encore courants et occupent pour l’instant tous les champs du progrès. Mais toutes ces luttes sont concomitantes, elles sont liées, elles ne sont pas dissociables.

Espérons que cette « fantastique expérience de terrain » comme l’aurait défini mon ethnologue préféré, Georges Lapassade, nous permettra d’évoluer.

[1] Alain Cognard, Misère de la démocratie, pour une réingénierie de la politique, L’Harmattan

[2] https://www.johnlewispartnership.co.uk/about/who-we-are/our-history.html

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